« Je cherche dans les œuvres de Claude des pans de paysage lorrain. Je n’en vois pas. Et pour cause. Il est parti à 13 ou 14 ans. Vers l’Italie. Claude est devenu Italien. Il sera célébré là-bas. Et riche. Vie paisible dit-on. Il y mourra.
A-t-il gardé un jour les bêtes dans les pâtures de Chamagne ? Sans doute. Mais plus tard, peignant un berger et son troupeau, ce n’est pas la vallée paisible qu’il peint. C’est autre chose. C’est idéal : un peu de mer au loin, une montagne, des rochers, des bâtisses du Latium ou de la Campanie. Le berger joue de la flûte. Il est né chez Virgile. […]
Je me demande souvent ce que peut bien jouer ce petit berger soufflant dans son chalumeau. Quelles notes s’échappent de l’instrument de bois qui est son compagnon ?
Une tarentelle napolitaine ou de Sicile ? Une gaillarde romaine ? Ou l’air d’une ancienne comptine du Duché de Lorraine qui parle d’herbe drue, de Sainte et de chênaie, et que les mères le soir, celle de Claude comme toutes les autres, chantonnent aux oreilles des enfants dont les paupières lourdes se ferment sur des rêves ? »
Extrait de L’Autoportrait en miettes, par Philippe Claudel